Le Kairos.
Kairos, une action objective et transcendante
« Mais puisque le monde moderne ne reconnaît que l’aspect mesurable du temps , reprend Calleman, chaque fois que nous prenons part à des coïncidences remarquables, nous avons tendance à les considérer comme mystérieuses . » Et encore : à quel point peut-on aussi avoir tendance à ignorer ces coïncidences, les considérant comme de fugaces et innocentes absurdités ? Alors qu’« en fait, de telles coïncidences remarquables s’avèrent être les moments déterminants de la vie, qui servent à lui donner sa future direction ». Les événements coïncidents et synchroniques n’ont l’apparence du hasard que pour mieux défier nos repères et bousculer nos habitudes – ébranler sur ses bases notre rationalité ordinaire – et jeter, comme une torche dans une cave obscure, une clarté aussi soudaine qu’inattendue sur la situation.
Ce sont là, typiquement, les synchronicités étudiées par Carl Gustav Jung : des expériences qui transcendent l’aspect linéaire et successif du temps au profit de sa tendance sphérique ou holiste et intégrative. L’expérience de Kairos, en effet, a ceci d’essentiel qu’elle donne du sens : elle implique l’individu dans un état de plénitude et du même coup explique le sens, objectivement, de l’expérience vécue subjectivement. Kairos exprime ainsi, nous dit Calleman, « le timing » du cosmos, et il est clair que chaque fois que nous en faisons partie, nous avons des raisons d’admettre que nous faisons partie d’un dessein supérieur ». Calleman adhère en effet à la théorie du « dessein intelligent » ( Intelligent Design ) selon laquelle l’Univers a un but, une intention, et qu’il se manifeste, fonctionne et s’organise, avec une invraisemblable intelligence, en rapport avec ce but 2. « Même si Kairos a toujours été perçu comme un facteur subjectif, ou même magique », relève justement Calleman (à la suite de Jung), « on peut aussi voir cet aspect du temps comme une expression du rythme évolutionnaire global de l’Univers à tout moment donné. Le "moment juste" serait alors celui où telle opportunité s’impose, même si cela peut être vécu très subjectivement », alors qu’en fait, « la raison pour laquelle de telles opportunités évolutionnaires se présentent en premier lieu est qu’un facteur objectif », et donc transcendant, « les pousse à se manifester au "bon moment" », c’est-à-dire au moment où cette manifestation aura – et donnera – le plus de sens et de valeur, de pertinence et de cohérence à celle ou celui qui en aura été l’objet. Ce « bon moment », chez Calleman (qui n’est pas biologiste pour rien), a pour critère la qualité évolutionnaire : c’est un saut qualitatif améliorant les capacités cognitives et le niveau de conscience, l’autonomie et la complexité des organismes.
C.C.