Mentalité Vivante.
Si donc la mentalité Primitive évite et ignore les opérations logiques, si elle s' abstient de raisonner et de réfléchir, ce n' est pas par impuissance de dépasser ce que lui offrent les sens, et ce n' est pas non plus par un attachement exclusif a un petit nombre d' objets tous matériels. Les memes témoignages qui insistent sur ce trait de la mentalité Primitive nous autorisent aussi et meme nous obligent a rejeter ces explications. Il faut chercher ailleurs. Et, pour chercher avec quelque chance de succés, il faut d' abord poser le probléme en des termes qui en rendent possible une solution méthodique. Au lieu de nous substituer en imagination aux Primitifs que nous étudions et de les faire penser comme nous penserions si nous étions a leur place, ce qui ne peut conduire qu' a des hypothéses tout au plus vraisemblables et presque toujours fausses, efforcons nous, au contraire, de nous mettre en garde contre nos propres habitudes mentales et tachons de découvrir celles des Primitifs par l' analyse de leurs représentations collectives et des liaisons entre ces représentations.
-Notes :
Selon Durkheim, l' activité sociale produit dans l' esprit individuel un ensemble de représentations qui ne viennent pas de sa propre volonté mais qui s' imposent a lui comme une contrainte. Ce qu' il faut retenir de cette analyse c' est l' idée selon laquelle les représentations collectives se présentent avec des caractéres différents des représentations individuelles et ne se lient pas entre elles de la meme facon, ce qui expliquerait que la mentalité Primitive ne suive pas les régles de la logique rationnelle. Pour autant, il ne faut pas supposer, a la maniére de Durkheim, une conscience collective produisant ces représentations. C' est le sens de la premiére phrase des Fonctions Mentales : " Les représentations appelées collectives, a ne les définir qu' en gros et sans les approfondir, peuvent se reconnaitre aux signes suivants : elles sont communes aux membres d' un groupe social donné ; elles s' y transmettent de génération en génération ; elles s' y imposent aux individus et elles éveillent chez eux, selon les cas, des sentiments de respect, de crainte, d' adoration, etc, pour leurs objets. Elles ne dépendent pas de l' individu pour exister. Non qu' elles impliquent un sujet collectif distinct des individus qui composent le groupe social, mais parce qu' elles se présentent avec des caractéres dont on ne peut rendre raison par la seule considération des individus comme tels."
L.B.