Panpsychisme.

La cénesthésie psychique commande, entre intellectuel et affectif, un curieux chassé - croisé. L' heureux fonctionnement de la sphére intellectuelle produit dans la sphére affective un sentiment d' aise dont la sphére intellectuelle prend a son tour connaissance. La cénesthésie est le type, peut étre unique, d' une expérience proprement individuelle. Le langage est un grossier filet jeté sur la pensée. Il en immobilise seulement ce qui est commun, définissable, en un mot social. Il ne retient pas dans ses mailles les éléments subtils et fuyants de notre sensibilité, partie la plus intime de nous memes, unique et inexprimable, qui refuse de se laisser traduire par des mots. Il n' existe cependant pas entre les deux consciences, extérieure et intérieure, de différence essentielle ; leur courant, a l' une et a l' autre, est fait d' images ; aussi a t on pu écrire que l' esprit humain se nourrit exclusivement de mirages et que le monde extérieur meme, nous le créons. Non seulement " Entre le monde réel et nos impressions et le monde artificiellement élaboré par l' intelligence et le langage, il y a un abime infranchissable ", mais notre langage meme est toujours un peu celui de la Tour de Babel car le symbole qu' est le mot recouvre chez deux interlocuteurs des collections d' images différentes. Le souvenir involontaire est le type de cet état de conscience strictement incommunicable dans lequel une simple sensation réveille tout un groupe d' images enveloppées d' une atmosphére bien particuliére et qu' il est impossible de ressusciter autrement. Chez Loti, un rayon de soleil caressant, en Orient, un vase de pierre qui le plonge dans la mélancolie  de l' aprés midi du dimanche dans une petite ville Bretonne. Le gout de la " Madeleine " fait revivre chez Proust toute une féte champétre de sa jeunesse et certain jeu de lumiére crépusculaire réveille en lui, avec le chant d' un gondolier vénitien, le désespoir d' avoir laissé sa mére s' éloigner. Dans la reviscence de ces états de conscience, impartagés et impartageables, Proust a poursuivi une délectation morose et solitaire qui, pour Huxley, fait de " La recherche du temps perdu " une intellectualité sans fin. " Les Lois que nous transportons au monde matériel sont précisément les Lois de notre pensée ; ce sont les Lois d' aprés lesquelles se produisent nos phénoménes psychiques car le monde matériel n' est que la résultante de nos représentations." ( Max Verworn ). Le physicien bien connu Ernst Mach, a exprimé des idées analogues et, pour Henri Pointcaré : " Puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées, dire qu' il y a autre chose que la pensée, est une affirmation qui ne peut avoir de sens."

A.J.