Le Kairos.
Par la suite Kairos a vu son développement lié a l' essor des technai et a l' affirmation du pouvoir autonome de l' homme, de l' artifex. Convaincue que le succés, meme servi par le hasard, n' est pas un don du ciel mais la conquéte de l' intelligence humaine, la pensée du cinquiéme siécle va s' ingénier a élaborer des régles facilitant la maitrise du Kairos. Elle voit dans la saisie de ce Kairos fugitif le résultat d' un calcul précis, rationnel, d' un dosage minutieux. L' esprit tente alors de saisir dans la variété des circonstances, un sens, une évolution, des chances, des risques. Dans ce devenir flottant, toujours en mouvement, on entend reconnaitre des lieux, des moyens, des moments opportuns ; et cette connaissance devient la clef d' une action efficace. On ne parle alors de Kairos - et ce trait caractérise la pensée du cinquiéme siécle - qu' en liaison avec la théorie rationnelle, le savoir, l' expérience, le jugement, en un mot la techné. L' esprit peut, selon les cas, percevoir le Kairos ( grace a une analyse correcte et perspicace de la situation et de son évolution ) ou meme le créer, le susciter ( grace a une intervention fondée sur une telle analyse ). Il y a place, de ce fait, pour un véritable Art du Kairos, dont l' épure se dessine dans la collection Hippocratique et chez Thucydide - Art rationnel du pronostic ou de la prévision. Le Kairos apparait alors comme le point de jonction dialectique de deux durées : la longue maturation du passé et le surgissement de la crise qui exige rapidité, acuité d' un coup d' oeil tendu vers l' avenir. L' homme d' expérience, tout a la fois prudent et décidé, saisira le Kairos ; tandis que le sot, le timoré, le balourd le manqueront toujours.
T.B.