Giordano Bruno.
Dès lors surgit la question de savoir si cet espace cosmique est fini ou infini : « Dès que nous avons reconnu, écrit Bruno, que le mouvement mondain apparent est dû au mouvement diurne réel de notre Terre [...], aucun argument ne nous forcera à accepter l'opinion vulgaire que les étoiles sont équidistantes de nous, qu'elles sont comme clouées et fixées sur la huitième sphère. » Donc, si Copernic a bien été la cause déclenchante de la réflexion cosmologique de Bruno, il a eu tort, selon ce dernier, de borner sa recherche au seul système solaire. Copernic s'est interrogé, il est vrai, dans son De revolutionibus orbium coelestium (1543), sur les dimensions de l'Univers ; et il reconnut avec une grande rigueur que, si l'on pose le mouvement de la Terre, « le ciel, par comparaison avec la Terre, est immense [immensum] et offre l'aspect d'une grandeur infinie ; et, pour l'estimation du sens, la Terre est, par rapport au ciel, ce que le point est au corps et le fini à l'infini ». Copernic retrouve l'incommensurabilité de la Terre par rapport au reste de l'Univers, tout comme Archimède, quoique ce dernier se fût autorisé de la monstruosité de cette conséquence pour récuser l'hypothèse héliocentrique d'Aristarque. Copernic a clairement saisi la difficulté de trancher entre un univers fini et un univers infini, mais il est resté résolument attaché au culte de la sphéricité ; c'est ce qui a dû inhiber en lui toute remise en question de l'existence ou de la non-existence de la sphère des fixes. En ce sens, sa philosophie naturelle était restée fidèle à la tradition antique, au modèle de Platon, Eudoxe, Aristote et Ptolémée, où la sphéricité du monde, souverainement enclose dans son invariance géométrique et symbole d'éternité, constituait depuis deux millénaires le paradigme de la perfection. Pour Bruno, en revanche, la réduction de l'illusion géocentrique et géostatique porte non seulement sur le mouvement apparent de la sphère des fixes, mais aussi sur l'existence même de cette sphère : « Comme nous avons reconnu le mouvement de la Terre, écrit-il, nous savons que ces mondes [les étoiles] ne sont pas équidistants du nôtre, comme c'est le cas pour un déférent. [...] Ces mondes ne sont pas comme encastrés dans une seule coupole, notion ridicule que les enfants pourraient avoir, imaginant peut-être que, si ces mondes n'étaient pas attachés à cette tribune et surface célestes par quelque bonne colle ou cloués par quelques clous solides, ils nous tomberaient dessus comme une grêle. »
Dès lors, puisqu'il n'y a plus de sphères cristallines emboîtées, comment Bruno peut-il rendre compte de la cause des mouvements des mondes innombrables autour de leurs soleils respectifs ? Rejetant toute causalité transitive et extrinsèque du mouvement, il invoque l'action de principes internes, c'est-à-dire d'âmes motrices inhérentes aux mondes, seuls principes véritablement naturels. L'âme motrice est à la fois une sorte d'intellect et un principe vital spontané, « la tendance naturelle et vivante de chaque être à se perpétuer dans l'être et à se régénérer ». Sur ce point, Bruno reste bien un penseur de la Renaissance. L'âme du monde, dont les âmes particulières ne sont que des modes, est à la fois ce qui assure le dynamisme (la puissance active) et l'harmonie (l'organisation interne) des êtres au sein de l'Univers infini.
U.E.